Mylène Farmer

Au Lecteur
La sottise, l’erreur, le péché, la lésine Occupent nos esprits et travaillent nos corps Et nous alimentons nos aimables remords Comme les mendiants nourrissent leur vermine Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; Nous nous faisons payer grassement nos aveux Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches Sur l’oreiller du mal c’est Satan Trismégiste Qui berce longuement notre esprit enchanté Et le riche métal de notre volonté Est tout vaporisé par ce savant chimiste C’est le Diable qui tient les fils qui nous remuent ! Aux objets répugnants nous trouvons des appas ; Chaque jour vers l’Enfer nous descendons d’un pas Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent Ainsi qu’un débauché pauvre qui baise et mange Le sein martyrisé d’une antique catin Nous volons au passage un plaisir clandestin Que nous pressons bien fort comme Une vieille orange SongtexteSerré, fourmillant, comme un million d’helminthes Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumons Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes Si le viol, le poison, le poignard, l’incendie N’ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins Le canevas banal de nos piteux destins C’est que notre âme, hélas ! n’est pas assez hardie Mais parmi les chacals, les panthères, les lices Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents Les monstres glapissants, hurlants, grognants Rampants Dans la ménagerie infâme de nos vices II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris Il ferait volontiers de la terre un débris Et dans un bâillement avalerait le monde ; C’est l’Ennui ! L’oeil chargé d’un pleur involontaire II rêve d’échafauds en fumant son houka Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat - Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! Charles Baudelaire, «Les Fleurs du mal» Aus Songtexte Mania