Jacques Bertin

Prose Des Jours Longs
J'étais solitaire chaque jour un peu plus. J'aimais me taire Je doutais de qui j'étais chaque jour un peu plus. Je guettais Sur les visages de mon âge la tristesse, ses sillons, La certitude aussi de la défaite intime. Nous traînions Chacun le deuil d'un amour sans cadavre dans un sac trop lourd Les manigances de l'amour et la gifle de la hautaine Nos âmes fêlées par un simple mot comme des porcelaines Et ce qu'on n'ose pas crier à la hautaine dans les cours L'abjecte société, l'un après l'autre, nous avait meurtris Bien des gens que j'aimais s'y sont, par ambition, laissés corrompre Ils sont perdus corps et biens comme vaisseaux dans l'opaque gris Ils suivaient comme au jeu, par orgueil : Ah, plutôt ramper que rompre ! Il me semblait pourtant savoir, et de mieux en mieux, où j'allais Je m'appliquais à travailler dans la mémoire de mon père Y cultivant ses idéaux perdus ainsi qu'en un jardin Pour que mon fils en fût encouragé à les transmettre au sien Et quelque chose vive ainsi en aval de nous, s'il se peut Obscure foi qui me tenait ! Qui j'étais ne sachant plus guère Comme un rêveur dans un grenier parlant tout seul, les jours qu'il pleut Ou bien aux anges dans un poulailler étrange dans la guerre Il tombait sur Paris, bien sûr, cette pluie sale des jadis Et je me battais, bien sûr, comme toujours, toujours comme dix Et cherchant ce que l'âme dit et retournant comme un labour Ou comme un futur paradis la solitude de l'amour Aus Songtexte Mania