Jeanne Plante

La Passoire Du Temps Perdu
Quand j'étais haute comme trois pommes Ta main râpeuse me rassurait Tu n'aimais pas beaucoup les hommes Je crois bien que tu t'en méfiais La Grande Guerre a gardé ton père Beau portrait au mur du salon Tu as dix ans, douleur d'enfer Et tremble ton petit menton Tu sais déjà, comme des tas d' gosses Aux yeux si lourds, sur les photos, Que l'horrible fée Carabosse Peut, d'un coup, vous briser le dos Grand-mère, tu secoues les étoiles Dans la passoire du temps perdu C'est leur poussière qui me réveille Et me dit que tu es venue Du plus loin que je me souvienne C'est ma petite main dans la tienne Mon souvenir le plus rassurant Ton silence était comme un chant Toi seule savais les animaux Apprendre à boire aux petits veaux Quand la chatte aurait des petits Pour les poules, la pâtée d'orties SongtexteEt pour les petits des humains Griller de grandes tranches de pain Faire grésiller le caramel Du riz au lait, avec la pelle L'un après l'autre, les chiens sont morts Tu entendais un peu moins fort Tu parlais peu, puis plus du tout Et puis tu mangeais plus beaucoup Tu t'es couchée dans ta maison L'hôpital? T'as dit "Pas question!" T'étais légère comme un moineau T'avais plus qu' la peau et les os On voyait bien qu' t' allais passer Comme disent les gens de la campagne Qui parlent de la mort sans chiqué Un matin, t'as rendu les armes Grand-mère, tu secoues les étoiles Dans la passoire du temps perdu C'est leur poussière qui me réveille Et me dit que tu es venue Chercher en moi L'enfant que j'étais Il ne me reste rien de toi Un p'tit collier, un vieux drap Et puis une passoire émaillée À laquelle je suis attachée Comme si c'était un vrai bijou Et qu'au travers de ses p'tits trous Coulait encore l'eau d'autrefois Nos secrets, nos éclats de voix Grand-mère, tu secoues les étoiles Dans la passoire du temps perdu C'est leur poussière qui me réveille Et me dit que tu es venue Chercher en moi L'enfant que j'étais autrefois Aus Songtexte Mania